Israël-Maroc : deux frères qui se retrouvent

Israël-Maroc : deux frères qui se retrouvent

Photo : Immigrants juifs marocains arrivant au port de Haïfa (Israël), 24 septembre 1954 ©Fritz Cohen GPO

 

Livre sur le pogrom de Fès en 1912Comme dans tous les pays arabes, les relations avec la communauté juive ne sont pas uniformes. Il y eut des périodes heureuses, même s’il fallait s’acquitter du droit de vivre presque normalement, le statut de dhimmi leur conférant au mieux une position d’infériorité et de vulnérabilité en contrepartie d’une protection ; et au pire des spoliations, des conversions forcées, des tueries voire des pogroms. Au XXe siècle, ce fut le cas au Maroc en 1907 à Casablanca, en 1912 à Fès, en 1948 à Oujda et Djerada notamment.

La communauté juive au Maroc

Mais il y aussi des liens profonds. Les Juifs sont présents au Maroc depuis l’Antiquité, et ils arrivèrent massivement après l’expulsion des Juifs d’Espagne et du Portugal en 1492. En 1948, à la veille de l’Indépendance d’Israël,la communauté juive du Maroc comprenait 360.000 âmes, sur une population de 10 millions d’habitants.

Au XXe siècle, il y a eu 3 grandes vagues d’émigration de la population juive du Maroc1, essentiellement vers la France, Israël et le Canada.

• de début 1948, un peu avant l’Indépendance d’Israël, à 1956, Indépendance du Maroc (période Qadima), 131.000 Juifs quittèrent le Maroc pour Israël, soit 1/3 de cette population. En 1956, à l’Indépendance du Maroc, ce pays comptait encore 230.000 Juifs. Ils n’étaient plus que 165.000 fin 1957.
• de début 1957 à novembre 1961 : période Misgueret, c’est une émigration clandestine qui est mise en place.
• 1961-1964 : période Yakhin, où l’émigration put se faire officiellement, avec la délivrance par le Maroc de passeports collectifs

Aujourd’hui, avec près de 3000 Juifs, le Maroc est le pays arabe avec la plus grande population juive. Près de 700 000 Israéliens sont d’ascendance marocaine et ont souvent gardé des liens forts avec leur pays d’origine. Il y a presque toujours eu des « Juifs de cour » comme on les appelle, c’est à dire des conseillers, des ministres ou des médecins du Roi. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus d’hommes d’affaires juifs et/ou israéliens très bien introduits auprès du Roi et des institutions commerciales.

Les retrouvailles formelles

Le Roi Hassan II et le Premier misnistre Shimon Peres durant le sommet de Sharm el-Sheikh, 13 mars 1996 ©GPO Avi Ohayon

Le Roi Hassan II et le Premier misnistre Shimon Peres durant le sommet de Sharm el-Sheikh, 13 mars 1996 ©GPO Avi Ohayon

Le Maroc et Israël ont entretenu des relations officielles de 1993 à 2000, date du déclenchement de la seconde intifada. Il n’y avait alors pas d’ambassades, mais des « bureaux de liaison ». Puis, après une période de froid, les relations reprirent officieusement, particulièrement dans le secteur privé.

« Même si leur existence au royaume n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, les Juifs d’Israël originaires du Maroc gardent un attachement très fort à cette terre »2

Ces liens profonds n’attendaient qu’un feu vert pour s’embraser, et il fut donné le 10 décembre 2020, avec la reprise des relations officielles entre les deux pays, dans le cadre des Accords d’Abraham. Israël et le Maroc signent alors des accords dans les domaines de l’eau, de l’aviation, ainsi que de la finance et des investissements. Moins d’un an après la normalisation entre le Maroc et Israël, un sondage de 2021 précisait que plus de 40 % de Marocains étaient soutenaient l’accord, ce qui représente un score très élevé.

 

Avant même de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël, le Maroc a lancé une réforme scolaire pour que soit enseigné dès le primaire l’histoire de la présence et de l’apport culturel de la communauté juive au Maroc. Ceci est un cas unique dans le monde arabe.

« Dans le monde arabe, le Maroc reste un cas rare dans la mesure où « ce pays n’a jamais effacé sa mémoire juive »», Zhor Rehihil, conservatrice du Musée du judaïsme marocain à Casablanca, unique en son genre dans la région3

Puis, à partir de décembre 2020, tout s’est accéléré :

• Janvier 2021 : la Confédération générale des entreprises du Maroc organise une réunion en ligne avec le patronat israélien.
• 11 août 2021 : les chefs de la diplomatie israélienne et marocaine signent des accords portant sur la coopération politique, l’aviation civile, la culture et les sports.
• 14 septembre 2021 : Collaboration formelle entre l’Université Ben Gourion du Negev en Israël et l’Université polytechnique Mohammed VI (UM6P) au Maroc
• Dans la foulée, la Chambre de Commerce et D’industrie Maroc-Israël (CCIMI) est créée fin 2021, ainsi que son pendant israélien (le forum business Maroc-Israël prévu à Marrakech pour mai 2022 est reporté aux 25-26 octobre 2022, pour raisons sanitaires).

Logo de la Chambre de Commerce et d'Industrie Israël Maroc

• Le 24 novembre 2021, le Maroc et Israël ont signé un accord de coopération sécuritaire, avec un volet concernant l’industrie militaire. Cet accord est historique à plus d’un égard, car outre ce rapprochement de l’État juif avec le royaume chérifien, il accentue une ligne de faille entre le Maroc et l’Algérie, tous deux pays arabes, tous deux membres de la Ligue Arabe. C’est à dire qu’entre une unité arabe et une coopération israélo-marocaine, le Maroc a choisi la deuxième voix.
• 18 juillet 2022 : Le chef d’État-major de l’armée israélienne, Aviv Kohavi, rencontre le ministre marocain de la Défense et de hauts responsables militaires afin d’élargir la coopération militaire

Visite du chef d’État major israélien, Aviv Kohavi, au Maroc, le 18 juillet 2022

Les retrouvailles informelles

En-dehors de ces accords, mémorandum et conventions, ce qui est frappant, ce que la société civile semble véritablement heureuse de se retrouver sans avoir à le cacher. Même si les échanges touristiques d’Israéliens vers le Maroc ne sont pas nouveaux – 50 000 Israéliens, essentiellement d’origine marocaine, visitent le royaume chaque année – les projections tablent a minima sur un doublement de ce chiffre.

En avril de cette année, l’ambassadrice d’Israël en France, Yaël German, recevait dans sa résidence parisienne une troupe de musique marocaine et tout un public franco-israélo-marocain à l’occasion de la mimouna, la fin de la Pâque juive traditionnellement fêtée par les Juifs marocains. Et c’était vraiment du bonheur qui se lisait sur les visages.

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En septembre prochain, une troupe de théâtre israélienne se produira à Rabat, Marrakech et Casablanca4. And so on.

C’est un point de bascule qui s’est amorcé, permettant de vivre au grand jour ce tissage entre Marocains et Israéliens, comme au bon vieux temps, mieux qu’au bon vieux temps. Parce que cette fois-ci, les relations ont lieu d’égal à égal.

Notes

1 La quête d’un compromis pour l’évacuation des Juifs du Maroc, de Yigal Bin Nun, revue Pardès 2003/1 (N° 34)

2 Dixit Mohamed Tozy, membre de la Commission pour le nouveau modèle de développement, Jeune Afrique, « Maroc : ces Juifs au service du royaume », 23 février 2021

3 Au Maroc, la culture juive sera enseignée à l’école, France Info, 31/12/2020

4 Une troupe théâtrale d’Israël se produit au Maroc pour la première fois, Israel Valley, 20 juillet 2022

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