Edito // Les remous de la démocratie
Ce n’est pas facile de parler des manifestations monstres en Israël liées à la réforme judiciaire en cours. Ce n’est pas facile en tout cas si on ne veut pas rentrer dans le débat et se positionner pour ou contre. Non pas que nous n’ayons pas d’avis, de position même. Mais les tensions sont telles non seulement en Israël, mais également en diaspora, que nous ne souhaitons pas attiser les flammes de la division. Il est difficile de lire les propos de certains partisans et opposants à cette réforme, leurs invectives, leur dénigrement, leur mauvaise foi aussi parfois.
Lors de la récente assemblée générale de notre association, nous avons eu une discussion franche au sujet de ce projet de réforme. Et à l’image de l’association France-Israël, composée de femmes et d’hommes d’opinion diverses, nous n’avons pas été d’accord. Nous avons toutefois salué l’initiative du président Herzog qui a cherché un compromis (rejeté depuis).
Un débat ancien -et sans doute éternel- refait surface, celui qui traite de l’état juif et démocratique, c’est-à-dire un État juif et en même temps un État de tous ses citoyens, sachant que plus de 20 % ne sont pas juifs, et que parmi les Juifs, certains placent la démocratie au-dessus – et on reviendra que ce qu’on entend par démocratie-, d’autres leur identité juive- et là encore, l’identité juive est hautement plurielle et résiste mal à une définition unique. Soit dit en passant, on aurait tort de cantonner ce débat au seul État hébreu, car toutes les démocraties sont ou seront un jour confrontées à ce dilemme : si le pouvoir est l’expression de la majorité, le « pouvoir du peuple » comme le dit l’étymologie du terme démocratie, que devient cette démocratie quand la majorité exprime des désirs non démocratiques ? Non égalitaires ? Sexistes ? Discriminants ?
le pouvoir judiciaire doit-il être soumis aux fluctuations électorales, ou doit-il dire le droit ?
C’est pourquoi les manifestations contre la réforme judiciaire sont si massives et durent tant, phénomène inédit en Israël. On peut saluer au passage ce témoignage vibrant de la démocratie israélienne. Mais la question fondamentale derrière est que la motivation des manifestants traduit une vraie peur, et sans doute un vrai danger : celui d’une dérive autoritaire du pouvoir. En effet, si la réforme est appliquée telle qu’elle est présentée, le parlement pourra toujours avoir le dernier mot sur la Cour suprême1, la plus haute Cour d’Israël.
Certains disent que la Cour suprême doit refléter l’opinion du peuple, comme l’est le gouvernement et le parlement. Mais le pouvoir judiciaire doit-il être soumis aux fluctuations électorales, ou doit-il dire le droit ?
On ne peut réduire la démocratie à un mode d’élection, à l’expression de citoyens élisant ses représentants. Tout d’abord, dans une démocratie représentative, tous les dépositaires du pouvoir ne sont pas élus, certains sont nommés. En France par exemple le président nomme son Premier ministre, les Préfets, de hauts fonctionnaires etc. Les juges et magistrats français ne sont pas non plus élus. Ensuite, la démocratie, c’est une séparation des pouvoirs. Chaque pouvoir est indépendant – l’exécutif (le gouvernement), le législatif (le parlement) et le judiciaire (les tribunaux), chacun exerçant des contrôles sur l’autre. C’est enfin un système où les droits primordiaux sont garantis pour tous, indépendamment des changements électoraux. Cette garantie des droits est logiquement exercée par le pouvoir judiciaire.
Toutes les démocraties ne fonctionnent pas de la même façon, mais elles ont des dénominateurs communs : une répartition des pouvoirs, et l’existence d’institutions et de lois qui visent à protéger la population des dérives partisanes, autoritaires, voire dictatoriales, que peut exercer une personne ou un groupe quelconque, y compris la majorité.
Voilà l’enjeu aujourd’hui en Israël. Ce que nous espérons, c’est qu’Israël sorte grandi et renforcé de cette crise, qu’il n’y ait pas de « vainqueurs », mais une évolution de la société pour le meilleur, et pour tous.
1 Lire notre focus « Projet de réforme du système judiciaire israélien »
Bravo en qualité de juriste; je partage le sens de cet article très bien rédigé et de retour d’Israel j’ai pu d’autant plus le lire avec plaisir!
Merci pour votre appréciation, nous y sommes très sensibles.
Permettez à l’israélien que je suis (et ancien directeur de votre association) de souligner le plaisir que j’ai de lire un éditorial si équilibré plein de bon sens et qui pose le vrai débat. Celui-ci a pris parfois un tel violence et soumis à tant d’irrationnalité qu’on se croirait en pleine affaire Dreyfus.
Merci Monsieur pour votre commentaire qui nous fait vraiment plaisir !
Extrait du livre de Theodore Herzl « l’ Etat Juif » (1895):
« Laisserons-nous nos prêtres nous gouverner ? Non ! Même si la foi nous unit, nous possédons la liberté qui découle de l’éducation et des sciences. Par conséquent, nous nous opposerons à toute prétention de la part de nos rabbins de nous gouverner et nous les confinerons dans leurs synagogues », qui est inséparable du sionisme.
Ceux qui ont créé Israël, l’Etat Juif, à la sueur de leur front et en y laissant la vie pour beaucoup d’entre eux, n’étaient ni des rabbins ni des religieux.
Ceux qui critiquent Tsahal, refusent de faire l’armée, ce sont en grande majorité des religieux.
Ceux avec qui Netanyahou s’est associé pour reprendre son poste de PM, uniquement pour échapper à la prison, ce sont des religieux.
Trouvez l’erreur aujourd’hui …
Vous avez hélas raison
En France aussi, les membres du conseil constitutionnel sont nommés par des élus de la majorité, et aussi longtemps qu’une fois nommé les juges restent inamovibles, même s’ils ont cessé de plaire à celui qui les a nommé, le mode d’élection n’est pas bien grave, enfin on a quelques souvenirs de juges ultra-conservateurs nommés par Trump et de leur effet sur les menaces contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
Mais le gros problème, celui qui fait descendre des foules dans la rue, c’est la fin du contrôle juridique des lois. La majorité n’a plus de contre pouvoir, et pourrait, si elle le souhaitait brimer les minorités, et promulguer n’importe quelle loi en contradiction avec les engagements d’Israël pris lors de son indépendance.
S’il n’y avait qu’une seule mesure à retirer, ce serait celle là, les lois d’Israël doivent être conformes aux lois fondamentales et à la déclaration d’indépendance, et seuls des juge peuvent le dire.
Merci pour votre commentaire plein de bon sens