Charlemagne, où l’âge d’or des juifs
Par Alain Herbeth
Les juifs disposent, sous le règne de Charlemagne, d’un statut relativement favorable. Il ne s’agit pas là d’un hasard mais bel et bien d’une volonté de celui qui sera, en l’an 800, l’Empereur des Francs.
Grâce à Grégoire de Tours et à ses mémoires, nous savons que des communautés juives ont existé en Gaule pendant le Bas-Empire romain et sous les Mérovingiens. Une présence confirmée grâce aux fouilles archéologiques. À cette époque, les relations avec le clergé chrétien naissant étaient placées sous le signe de la bonne intelligence. Ce sont pourtant deux empereurs romains, Théodose et Valentinien, tous deux nouveaux chrétiens, qui vont interdire aux juifs d’être avocats, magistrats ou fonctionnaires afin qu’aucun chrétien ne soit subordonné à un juif. Ce décret transmis aux préfets romains de la Gaule était aussi une incitation à la conversion, mais pas une obligation…pas encore.
À l’époque mérovingienne
Aux alentours du VIème siècle, nous trouvons de fortes communautés juives à Narbonne, à Uzès ou à Arles, mais aussi à Clermont, Orléans, Paris, Bordeaux et Rouen. Le lien commun entre toutes ces villes, c’est qu’elles se trouvent sur de grandes voies commerciales ou d’échanges. Tant que s’applique la loi romaine, ce qui est le cas sous les Mérovingiens, les juifs demeurent les égaux des chrétiens. Tout pourrait donner à penser que les relations sont donc apaisées, même après l’établissement solide du christianisme en Gaule.
Et pourtant Grégoire de Tours nous dit qu’il ne faut pas trop se fier aux apparences. En 576, par exemple, une émeute détruit totalement la synagogue de Clermont. Face à cette menace, les juifs de la ville acceptent le baptême.
Quinze ans plus tard, en 591, les juifs d’Orléans sont chassés de la ville. Ils se réfugient en Provence et leurs descendants deviendront, en grande partie, les juifs du Pape.
C’est en Septimanie, autour de Narbonne, que les juifs vont continuer à prospérer…un salut pour tous les Narboni que nous avons un jour rencontrés.
A l’époque carolingienne
Avant même que Charlemagne soit l’Empereur des Francs et des Germains, nombreux sont les juifs qui vivent sur ses terres. Ils disposent d’un statut assez favorable qui les autorise, par exemple dans le domaine judiciaire, à prêter serment selon la formule « serment more judaïca ». Cela implique notamment que, faute de rouleaux de la Thora, les juifs peuvent prêter serment sur la Bible latine. Il leur est également possible d’intenter un procès contre des chrétiens, même s’ils doivent disposer, pour cela, d’un nombre supérieur de témoins. S’ils emploient des chrétiens, leur seule obligation est de leur accorder un repos dominical.
En bref, contrairement aux lois ecclésiastiques et aux dispositions des conciles poussant souvent à l’exil ou à la conversion forcée, Charlemagne protège « ses » juifs.
Un statut protégé
A cette époque ils étaient les principaux acteurs du commerce d’exportation et d’importation. Pendant que la noblesse se consacrait à la guerre, que la bourgeoisie naissante apprenait à maîtriser divers métiers alors que les paysans et les serfs cultivaient la terre, les juifs, éloignés de l’armée et empêchés, avant le règne de Charlemagne, de posséder des terres, achetaient et vendaient des marchandises et des esclaves… cette dernière activité est certes condamnable mais elle était largement partagée dans le monde connu et ne mérite pas, aujourd’hui, que l’on impose une quelconque repentance aux lointains, très lointains descendants de ces marchands… faudrait-il, encore, qu’ils existent.
Pour donner à « ses » juifs les moyens de s’instruire, Charlemagne fit venir de Narbonne deux savants juifs, Kolonymas et son fils Moïse. Il les autorisa à construire une sorte de village, schtetel avant la lettre. On y trouvait des maisons d’habitation mais aussi une synagogue et une yechiva (école talmudique). Les terrains ont été offerts par le souverain et la communauté avait droit à la jouissance totale de cet ensemble dont elle édictait les règles. Kolonymas porta alors le titre de prince et l’ensemble du domaine s’appela « la cour du roi des juifs ».
Isaac, ambassadeur de Charlemagne auprès d’Haroun-al-Rachid
Charlemagne, soucieux de se procurer des biens rares venus d’orient – parfums, épices ou bijoux-, mais aussi désireux de nouer des liens politiques, envoya deux ambassadeurs auprès du Calife Haroun-al-Rachid, à Damas. Il leur adjoignit le juif Isaac, qui parlait couramment l’arabe, pour traduire un dialogue espéré. Mais cette situation n’était que l’apparence des choses ! Avant de partir, Isaac avait été initié aux secrets diplomatiques de Charlemagne.
Les deux ambassadeurs officiels mourront en chemin et Isaac se trouva, ainsi, de fait, le seul interlocuteur du puissant Calife. A son retour, cinq ans après son départ, il passe par Jérusalem, puis passe en Égypte et longe la côte jusqu’à Carthage. Il retrouve Charlemagne en 802 devenu Empereur deux ans plus tôt. Ce dernier le reçoit, à Aix-la-Chapelle, en audience solennelle.
Isaac ne fit pas le chemin du retour entièrement seul. Il fut accompagné, de près ou de loin, par Abul-Abbas, un magnifique éléphant venu d’Asie, un éléphant albinos extrêmement rare offert en cadeau diplomatique par le Calife Haroun-al-Rachid. Cet éléphant précieux doit son nom au fondateur de la dynastie abbasside, un hommage original.
Traité avec bienveillance par l’empereur, les juifs étaient surtout à l’abri, près de lui, des tracasseries et des vexations dans ce qui est aujourd’hui l’Allemagne, sans doute épargnée par le fait que l’église y était moins puissante que celle qui grandissait à grands pas sur le territoire français actuel. Dès le IXème siècle, on les retrouve en nombre à Magdebourg ou à Ratisbonne. Certains continuèrent leur chemin vers des terres slaves, la Pologne ou la Bohème, au-delà du fleuve Oder. Le Yiddish Land pouvait, alors, prendre forme.