Voyage en Israël, un récit de Liliane Delwasse

Voyage en Israël, un récit de Liliane Delwasse

Ariel Amar, président de l’Association France-Israël, Alliance général Koenig, s’est rendu en Israël pour rencontrer des ONG israéliennes et a rejoint la délégation du CRIF. Il a rencontré Liliane Delwasse, longtemps journaliste au journal Le Monde, ancienne collaboratrice de l’Express, du Point, du Quotidien de Paris et du Canard enchaîné, qui nous a livré ce texte. Elle est également la fille de l’ancien président de l’Association France-Israël, Alexandre Reiter.

Le choc

Une délégation du Crif a passé 4 jours en Israël. Un voyage de solidarité et d’amitié pour célébrer 75 ans de relations diplomatiques entre la France et Israël. Des parlementaires du Sénat et de l’Assemblée Nationale, des maires très impliqués dans les liens avec la Terre Promise, quelques personnalités de la société civile, un écrivain, un artiste faisaient partie du déplacement. Les rencontres et conférences se sont succédées.

Dès l’arrivée c’est le choc ; le soleil de Tel-Aviv a beau briller, c’est différent d’une arrivée habituelle : on est accueilli à l’aéroport par les deux rangées de visages des otages. Les photos des 136 otages encore prisonniers de l’enfer de Gaza parsèment tout le pays ainsi que les panneaux immenses « Bring Them Home Now ».

Portraits des otages israéliens à l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv (Israël), février 2024

Portraits des otages israéliens à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv (Israël), février 2024

Une question existentielle

Le voyage a commencé par Jérusalem et la rencontre avec le maire, Moshe Leon, qui porte l’énorme responsabilité de conserver l’unité et la paix d’une ville avec autant de communautés diverses et souvent opposées. Son doigté et sa patience ont porté jusqu’alors leurs fruits. Puis le porte-parole de Tsahal a expliqué la stratégie militaire de l’après. « Gagner la guerre, nous irons jusqu’au bout, nous détruirons le Hamas jusqu’au dernier. » Ont-ils le choix ? Non, vaincre est une question existentielle pour l’État juif, tout en précisant : « Nous sommes en guerre contre le Hamas, pas contre les Gazaouis, ni contre les Palestiniens, encore moins contre les Arabes. »

Une partie de la délégation a choisi de visiter la Cour suprême qui fut l’an passé l’objet d’âpres polémiques politiques et de grandes manifestations. Un deuxième groupe a visité le terrible et bouleversant musée de Yad Vashem. D’autant plus difficile à voir en ce moment que les événements du 7 octobre offrent un effet miroir.

La suite du voyage à Jérusalem fut occupé par les rencontres officielles, avec le Consul général de France (la France n’a toujours pas d’ambassade à Jérusalem), les anciens ambassadeurs, le président Herzog qui nous a expliqué la diplomatie subtile, prudente et toute en nuances du pays.

La guerre

A Jérusalem, à Tel-Aviv, on peut encore croire que tout est normal. Mais en descendant dans le Sud on comprend que le pays est en guerre. Une guerre d’autant plus terrible que c’est une guerre sans bataille, une guerre qui ne concerne pas seulement l’armée mais les civils israéliens, les vieillards, les enfants, les bébés, les nouveaux nés ; une guerre qui répond à un pogrom, un atroce pogrom comme ceux qui se déroulaient autrefois, dans les villages de la lointaine Europe de l’Est et dont on n’imaginait pas qu’ils puissent avoir lieu ici et maintenant.

Sdérot, ville désertée. Des 36.000 habitants, il n’en reste que 2000 qui ont refusé d’être évacués et quelques dizaines qui commencent à revenir. Un commissariat avec un centre de commandement et de surveillance a été reconstruit à toute vitesse pour remplacer celui qui a brûlé. Le souci des responsables du Centre de Résilience est de conserver les liens avec les citoyens de Sderot dispersés dans tout le pays, de leur faire sentir qu’ils appartiennent toujours à leur communauté martyrisée, qu’on les attend et que tout sera fait pour leur retour. Un responsable explique, amer: en France lorsque vous allez au parc avec vos enfants, vous cherchez le plus joli toboggan, les jeux les plus amusants. Ici les parents regardent avant tout où est l’abri le plus proche. Tant d’années de menaces sous le bruit des roquettes ont fait du souci de la sécurité une seconde nature.

Sdérot, ville fantôme (au premier plan, un abri)

Sdérot, ville fantôme (au premier plan, un abri)

Sur le chemin du kibboutz Béeri, on entend les bombardements sur Gaza, tout près. On nous fait enfiler des gilets pare-balle, simple précaution, dit on, on ne sait jamais. De ce paradis fleuri et joyeux de 1000 habitants, il ne reste que des décombres, des ruines, des maisons incendiées, une salle de fête saccagée ; un ballon d’enfant traîne encore, une chaise haute de bébé gît, renversée, des traces de sang séché. Plus loin une poupée décapitée, comme l’a été sa petite propriétaire de 3 ans nous précise-t-on. Yuval, qui nous fait la visite, explique que le kibboutz a été fondé par ses grands-parents qui ont fui les pogroms de Russie. Ses parents sont nés ici et toute la famille y vivait paisiblement jusqu’au 7 octobre. Sa mère a été otage du Hamas, libérée par une chance inouïe au bout de 56 jours d’enfer. Debout, forte et digne, elle se bat pour récupérer les débris de ce qui reste des siens, un gendre, une nièce de 12 ans…

Quel prix à payer ?

Les questions aux représentants de l’armée se bousculent : comment n’avez-vous pas vu les préparatifs du Hamas ? Comment peut on creuser 2000 kilomètres de tunnel à une profondeur de 20 ou 30 mètres, à 400 mètres de la frontière la plus surveillée du monde sans alerter le service de renseignement ? Comment faire entrer en secret des dizaines de milliers d’armes et de munitions ? A mi-voix, off, un officier supérieur murmure : « on savait, on était prévenu, le renseignement savait, mais on n’a pas voulu croire, on n’a pas voulu faire la guerre au Hamas ». Pourquoi l’armée a mis si longtemps pour arriver ? Comment répondre aux besoins vitaux des 260.000 personnes déplacées, évacuées des zones de combat ? On les croise, errants dans les halls des hôtels qui les hébergent. Jusqu’à quand ? 3 à 4000 terroristes ont pénétré en Israël le 7 octobre. Que se serait-il passé s’ils avaient été 20.000 ? Ils ravageaient Ashkelon et arrivaient à Tel-Aviv.

La start-up nation qui s’enorgueillit d’une des plus performantes économies du monde, des scientifiques les plus réputés, de l’armée la plus héroïque, a été, par une aube rose d’un samedi de fête, la proie de barbares sadiques, inhumains et cruels.

Tunnel découvert le 7 février 2024 par Tsahal dans la bande de Gaza, avec des pièces fermées avec des barreaux pour les otages

Pour l’instant, les polémiques se sont tues et les critiques restent sous le manteau. Jamais les Israéliens n’ont été aussi soudés et aussi solidaires. Jamais ils ne se sont autant entraidés, jamais ils n’ont été aussi fraternels. Des milliers de volontaires de la diaspora sont venus dans les champs et les usines remplacer les soldats réservistes rappelés sous les drapeaux. Et les jeunes-hommes qui se trouvaient à l’étranger sont rentrés se battre et ont été nombreux à donner leur vie pour leur patrie. Ce n’est pas le moment de demander des comptes. Ni au gouvernement, ni à l’État-major. Mais le pays, traumatisé, bouleversé, vit depuis 4 mois dans le deuil et la sidération devant l’impensable.

Le président Herzog explique aux interlocuteurs que le pays est en guerre avec le Hamas, pas avec les Palestiniens, ni avec les pays voisins. Les Arabes israéliens semblent soutenir leur pays. La collaboration est entière avec l’autorité palestinienne en Judée et en Samarie explique-t-il. L’avenir immédiat est un choix difficile, quasi impossible : récupérer les otages est prioritaire, mais à quel prix ? Certainement pas en acceptant un cessez-le-feu qui signifierait une reddition complète, une capitulation. Pas avant d’avoir définitivement détruit le terrorisme et les terroristes.

 

Liliane Delwasse, directrice de collection aux éditions de l’Archipel, pour l’Association France Israël
Logo (long) Association France-Israël, Alliance Général Koenig

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