Sarah Halimi : la justice incompréhensible, la France encore plus déchirée
Quelle humanité peut admettre qu’on tue son prochain délibérément ? Il faut, bien sûr, avoir une part de sa raison altérée pour transformer en meurtre sa détestation de sa voisine et son aversion familiale pour les Juifs ! Mais au prétexte que, donc, le meurtrier n’avait pas toute sa tête au moment des faits, notre système judiciaire devrait refuser de l’en juger ? En somme, plus un crime serait odieux, plus il serait probable de voir ainsi exonérée la responsabilité de l’auteur.
Ainsi, l’alcool (produit légal) est une circonstance aggravante pour un accident au volant, mais la consommation de cannabis (pourtant illégale par ailleurs) peut être une circonstance, non pas juste atténuante, mais exonérante, même et peut-être surtout d’un crime grave.
La justice française referme donc le dossier d’un acte dont elle reconnaît pourtant le caractère violent, délibéré et antisémite.
Quatre ans presque jour pour jour après la mort violente de Sarah Halimi, le 4 avril 2017, la justice française referme donc le dossier d’un acte dont elle reconnaît pourtant le caractère violent, délibéré et antisémite. Sans même de jugement ni de confrontation à ses actes, pour un homme de 27 ans à l’époque qui a – tout de même – tué sa voisine de 65 ans en la défenestrant délibérément, après l’avoir frappée et injuriée, le tout en se réclamant du Coran avec apparemment beaucoup de mémoire et de lucidité.
Si M. Traore doit être jugé irresponsable, qu’il le soit au moins à l’issue d’un procès, par un juge et un jury, fût-ce avec les lumières de médecins compétents.
Tout ceci n’a finalement pas soulevé de marée d’indignation en France ; comme si le pays s’était habitué à un fonctionnement au mieux incompréhensible de sa justice. Il est vrai que ces sujets sont bien techniques, logiquement réservés aux spécialistes, on nous répète à l’envi que le citoyen ordinaire n’est pas assez compétent pour en juger. Mais si Mr Traore doit être jugé irresponsable, qu’il le soit au moins à l’issue d’un procès, par un juge et un jury, fût-ce avec les lumières de médecins compétents.
Bon courage, tout de même, au Ministre de la Justice pour restaurer la confiance dans une institution capable à la fois, en février 2020, de condamner à de la prison ferme (avec placement en détention !), un homme – pourtant ivre et sous cocaïne – qui avait tué le chien de sa voisine en le défenestrant1 et, en avril 2021, d’exonérer Kobili Traore de sa responsabilité.
Ce n’est pas seulement la « communauté juive » du pays qui oscille entre colère et inquiétude : c’est le pays tout entier, dans sa diversité.
Ce traitement soulève, au-delà de notre indignation pour Madame Halimi et sa famille, des questions graves pour notre pays et ses institutions. L’absence de suite après une décision aussi révoltante – en apparence – envoie des messages insupportables et lourds de conséquences : sentiment d’abandon pour les uns, d’impunité pour d’autres.
Le sujet va au-delà de l’antisémitisme, gangrène souterraine et parfois visible de notre société, et du traitement des Français juifs : il touche à l’égalité devant la justice – fondement de la République – et devant les médias – fondement théorique de la démocratie. Ce n’est pas seulement la « communauté juive » du pays qui oscille entre colère et inquiétude : c’est le pays tout entier, dans sa diversité.
Nous voulons croire, sans être ni psychiatre ni juge, que si Sarah Halimi n’avait pas été juive et son assassin pas Traore, la « justice » aurait été rendue de manière identique ; mais qui pourra nous empêcher d’avoir, au fond de nous, au fond de notre deuil de cette Française de 65 ans, cette insidieuse saveur amère du doute ?
François Jay, Vice-Président de l’Association France-Israël, Alliance Général Koenig
1 https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/marseille-chien-jete-du-4e-etage-auteur-condamne-an-prison-ferme-1769423.html