Hanouka, une fête aux facettes multiples…
…comme la toupie que l’on lance ce jour-là
Par Alain Herbeth
Quand arrive l’hiver, les hommes ont besoin de lumière et, déjà, ils regrettent celle qui vient de disparaître. Pour être sûr qu’elle resurgira, l’humanité tout entière célèbre avec espoir son retour. Hanouka est l’une de ces fêtes, célébrée par le peuple juif, et qui conjugue l’espoir dans le retour miraculeux de la lumière à la célébration d’une victoire militaire toute aussi miraculeuse.
De quoi s’agit-il ? Que commémorent les juifs pendant cette fête de Hanouka qui, cette année, a commencé le 18 décembre au soir et se poursuivra jusqu’à la soirée du 25 décembre 2022 ? Mais, oublions le calendrier chrétien, et rappelons que la fête commence chaque année le 25 du mois hébraïque de Kislev.
Au demeurant, la fête de Hanouka est une fête assez récente puisque les premières traces de sa célébration remontent à la « Guemara », la version la plus récente du Talmud, et non pas à la « Mishnah », la version plus ancienne. Hanouka n’est pas une fête biblique, comme peut l’être Roch Hachana ou Yom Kippour et encore Pessah. C’est une fête talmudique, aux multiples facettes, graves et sérieuses à la fois et qui, comme si souvent dans les commémorations juives, s’adosse sur un récit de nature historique.
Juda, dit Maccabée, libère le temple profané et ne plie pas
Au IV° siècle avant Jésus-Christ, Alexandre le Grand conquiert le Proche-Orient et, notamment le royaume de Judée. Après sa mort, la terre d’Israël passe sous le contrôle des Séleucides. Au II° siècle, le roi Antiochus IV Epiphane, tyran violent et cruel, décide d’entreprendre une « hellénisation » forcée des juifs qui, jusque-là, avaient réussi à conserver leur identité et leur mode de vie. Les pratiques religieuses traditionnelles sont interdites, notamment le respect du Shabbat et la circoncision des garçons. Les temples sont profanés, on y installe des idoles et on y sacrifie des porcs, ultime provocation. Certains juifs se plient à cette hellénisation, d’autres pas.
Une révolte finit par éclater. Elle est conduite par un vieux prêtre, Matthatias (Matityahu en hébreu) et ses cinq fils, dont le troisième, Juda (Yahouda
en hébreu), dit Juda Maccabée (le marteau, en hébreu, dont il se sert comme arme de poing). Rejoints par d’autres hommes, la révolte prend de l’ampleur. Matthatias et sa petite armée se réfugie dans des grottes de Judée, d’où ils mènent des raids contre la puissante armée séleucide. Plusieurs légions grecques sont vaincues, à tel point qu’Antiochus décide d’envoyer une armée de 40.000 hommes pour faire plier les rebelles. Tentant le tout pour le tout, et se sachant condamné, Juda Maccabée – son père Matthatias étant mort entre-temps- décide de marcher sur Jérusalem pour libérer le Temple.
Contre toute logique militaire, il défait l’armée grecque bien plus puissante et libère le temple, le 25 du mois hébraïque de Kislev, au prix toutefois d’un très grand nombre de morts. Au miracle des armes va suivre un autre miracle : pour inaugurer le temple reconquis- en hébreu, « Hanouka » signifie « inauguration »-, il faut de l’huile pure pour rallumer la Menorah, censée brûler en permanence. Mais on ne trouve dans ces lieux dévastés qu’une petite fiole dont l’huile suffit à peine pour un jour. On tente néanmoins l’impossible et, au fur et à mesure qu’elle s’épuise, elle renaît pour alimenter la flamme pendant huit jours, temps nécessaire pour fabriquer une nouvelle huile.
Si Hanouka est fête des lumières, elle est aussi fête de libération nationale et refus de l’assimilation
On comprend qu’une fête aussi chargée de symboles que Hanouka a pu, au fil du temps, changer, sinon le sens profond, du moins de modalités d’expression. Ainsi, sous la domination romaine, la fête était observée avec une certaine discrétion dès lors qu’il s’agissait d’une victoire militaire sur l’envahisseur. Cela a été pire encore dans le moyen-âge chrétien mais, de nos jours, aux États-Unis ou en Europe, les aspects purement festifs ont quelque tendance à devenir dominants… une sorte de Noël juif, surtout quand les dates se heurtent, comme cette année. Il n’est pas rare de se souhaiter un « Merry Chrisnouka » ou un joyeux Hanouël… S’il n’y a pas assimilation, il y a pour le moins une certaine interpénétration d’habitudes. Est-ci si grave si, au-delà de la distribution traditionnelle à leurs enfants du « Hanouka gelt », les parents juifs offrent des cadeaux à leurs enfants ? Sans excès bien sûr.
Les symboles de Hanouka
De l’huile de la lampe à celle de la poêle, il n’y a qu’un léger glissement pour un peuple qui attache le prix que l’on sait aux relations symboliques à la nourriture. Toutes les familles juives se régalent, à ce moment, de beignets de pomme de terre sucrés-salés, les « latkès ». En Israël beaucoup dégustent des soufganiot, des beignets fourrés de confiture. Il arrive également que des juifs consomment pour Hanouka des crêpes au fromage. L’essentiel étant de consommer des plats bien huileux…
Pendant Hanouka, et uniquement pendant cette fête, il est d’usage de jouer avec un « dreidl », une toupie à quatre faces qui s’utilise comme un dé. Beaucoup se sont interrogés sur le sens cabalistique des lettres qui marquent les quatre faces de la toupie. Sur chacune de ces faces, en effet, figure une lettre hébraïque, nun, gimmel, hé, shin. Quatre lettres qui forment, selon la tradition, l’acrostiche de la phrase « nes gadol haya sham » qui signifie « un grand miracle eut lieu là-bas ».
Mais ces lettres, facétieusement transposées en yiddish, prennent un sens beaucoup plus prosaïque. Nisht, ganz, halbe, shtel signifie : rien, tout, la moitié et remettre la mise, et se rapportent directement au jeu de hasard et d’argent. Selon les lettres sur lesquelles ils tombent, les joueurs déposent des pièces, des jetons, ou même des noisettes dans un pot commun et l’enjeu est évidemment de gagner le contenu du pot.
Derrière ce jeu d’apparence anodine, se tapit un enjeu qui l’est bien moins : envahis par les Séleucides qui les empêchaient de pratiquer leur culture, les juifs se cachaient pour étudier, mais s’ils étaient surpris par une patrouille, ils fermaient promptement leurs livres et faisaient mine de jouer…à la toupie.
Enfin, il y a l’allumage de la hanoukiah, chandeliers à 9 branches (la menorah en comporte 7) : la branche du milieu est appelée « Chamach » et sert à allumer les 8 autres. Le premier jour de la fête de Hanouka, on allume 1 bougie (plus le chamach), le deuxième jour 2 bougies et ainsi de suite.
Pour conclure ce petit rappel, souvenons-nous de la question que l’on pose traditionnellement pour Hanouka, en hébreu : « Ma-hi Hanouka ? » (Qu’est-ce que Hanouka ?). « Zot Hanouka ! » est-il non moins traditionnellement répondu. Une affirmation joyeuse, magique et poétique : « c’est Hanouka » !
Photo en tête d’article : Juda Maccabée devant l’armée de Nicanor- Gustave Doré 1832