Novembre 1917 : la Déclaration Balfour
Par Alain Herbeth
La « Déclaration Balfour » n’est-elle qu’une déclaration de circonstance, approuvée opportunément par le gouvernement britannique, au moment de la victoire anglaise en Palestine et, surtout, au moment où le Royaume-Uni, comme la France, avait besoin de l’engagement des Etats-Unis ? Les principaux acteurs nous en disent plus.
Après la mort prématurée de Theodor Herzl, a l’âge de 44 ans, Il faudra que treize années se passent pour que Lord Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique, adresse à son « cher Lord Rothschild » un courrier qui deviendra bientôt célèbre dans l’Histoire sous le nom de « Déclaration Balfour ». Datée du 2 novembre 1917, cette simple lettre devient une étape fondamentale dans l’histoire du sionisme. En effet, elle grave, si ce n’est dans le marbre mais sur le papier, moins solide on le constatera très vite, l’engagement de sa gracieuse Majesté envers le peuple juif : « Le Gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. Il emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif ».
Cette déclaration a ensuite été validée par les traités internationaux qui ont suivi la victoire des forces alliées, notamment le traité de Sèvres, puis par la toute jeune SDN (la Société des Nations).
Après tant d’efforts menés par Theodor Herzl, souvent sans résultats, certains ont parlé de miracle. Arthur Koestler, lui, préfère parler d’un événement statistiquement improbable1. Soulignons que cinq mois avant que Lord Balfour engage son pays, Jules Cambon, secrétaire général du Quai d’Orsay, adressait une lettre à Nahum Sokolow, secrétaire général de l’Exécutif sioniste, où il lui disait : « Le gouvernement français ne peut éprouver que de la sympathie pour votre cause, celle du Foyer national juif en Palestine. Son triomphe est lié à celui des alliés ».
Pourquoi le gouvernement de Lloyd George a-t-il fait sienne cette « Déclaration » ?
En pleine guerre, en novembre 1917, le gouvernement dirigé alors par Lloyd George promulgue cette déclaration où, fait unique dans
Le Premier ministre britannique David Llyod George (entre 1910 et 1915)
l’Histoire, une nation (le Royaume-Uni) promet à une autre nation (le futur État juif) une partie du territoire d’une troisième nation (L’Empire Ottoman). Pourquoi une telle attitude ?
C’est Lloyd George lui-même qui répond à cette question, vingt ans plus tard, devant la commission royale chargée de la Palestine, commission présidée par Lord William Peel : « La publication de la déclaration à cette date précise a été due à des motifs de propagande (…) Nous étions dans une situation critique et nous étions convaincus que la sympathie des juifs serait d’un poids considérable pour la victoire des alliés. »2
Cynisme inimitable de certains hommes politiques. Lloyd George pense bien sûr aux juifs américains susceptibles de persuader le président Wilson d’entrer en guerre. Il pense aussi, et peut-être surtout, aux banquiers juifs de Wall Street qui encouragèrent Balfour à aller de l’avant lors de son voyage aux États-Unis, en 1916.
Mais il n’y a pas que l’argent qui compte et Lloyd George pense aussi à évoquer, devant la commission Peel, les soldats juifs qui se sont battus au coude à coude, en Palestine, avec les Britanniques.
Que vaut cette déclaration de Lloyd George, prononcée en 1936, vingt ans après la déclaration Balfour ?
À l’évidence cette déclaration tardive de l’ancien premier ministre britannique est une déclaration de circonstance, faite devant une commission de circonstance, née en raison des émeutes arabes commencées en 1936. Les Anglais ont alors tout intérêt à minimiser, voire à gommer l’engagement moral que représente la « Déclaration Balfour »… pour mieux la renier ensuite.
Quelques années plus tôt, Winston Churchill n’avait pas dit autre chose : « Le mouvement sioniste n’était nulle part plus visible qu’aux États-Unis, et nos espoirs reposaient sur la part active que prendraient ces mêmes États-Unis dans la lutte sanglante qui s’annonçait. La déclaration Balfour ne doit pas être regardée comme une promesse sentimentale mais bien comme une mesure pratique prise dans l’intérêt d’une cause commune »3.
Mais la « Déclaration Balfour » peut encore connaître un autre éclairage, plus discret. Lloyd George, comme le président des États-Unis, Wilson, et bien d’autres encore, sont tous sensibles aux discours des évangélistes4 et à l’ensemble des courants millénaristes, nombreux en Amérique comme en Grande-Bretagne où ils sont influents au sein même de l’Église d’Angleterre. Ils sont donc sensibles à la promesse du sionisme, celle du retour des Juifs en Palestine. Aider au retour des Juifs c’est, pensent-ils, s’assurer du retour du Messie en Terre Sainte.
Finalement, et quelles que soient les circonstances entourant la « Déclaration Balfour » demeurent quelques ambiguïtés. « Qu’est-ce exactement un foyer national juif », s’interroge Jacques Soustelle, l’ami des juifs5, précisant « que le texte est vague car on a voulu qu’il le soit ». Arthur Koestler note, lui aussi « le caractère curieux du terme foyer national, soulignant qu’il n’est qu’un simple compromis diplomatique entre ceux qui sont pour la naissance de l’État d’Israël, et ceux qui sont contre ».
Notes
1 Koestler Arthur : « Analyse d’un miracle, naissance d’Israël » Ed Calmann-Lévy Paris 1949
2 Rapport de la « Palestine Royal commission »
3 Intervention de Winston Churchill à l’agence télégraphique juive
4 D.Trimbur et R.Aaronsohn : De Balfour à Ben Gourion. Editions CNRS, Paris 2008
5 Alain Herbeth : « Jacques Soustelle, l’ami d’Israël ». Edition Fauves, Paris 2020. L’ensemble de cet article écrit pour France-Israël est issu du Chapitre II de mon livre cité plus haut