Si je t’oublie, Odessa…
Par Alain Herbeth
L’actualité immédiate fixe notre attention sur l’Ukraine. Des souvenirs reviennent, des noms sortent de l’oubli, et la plupart d’entre eux nous amènent à Odessa ou sur les rives de la mer Noire. Odessa qui servit de modèle à la construction de Tel-Aviv au début des années 1900, Odessa qui vit naître Léo Pinsker et ses « amants de Sion », avant que Theodor Herzl ne fasse paraître son livre « l’État juif ». Odessa qui vit naître aussi Vladimir Jabotinsky, le grand rival de David Ben Gourion… sans oublier la naissance, pas très loin d’Odessa, à Nikolaïev, sur les bords de la mer Noire, du Rabbi Schneerson, septième héritier du hassidisme Habad-Loubavitch.
Odessa se dresse en majesté au bord de la mer noire. C’est grâce à l’inébranlable volonté de la Tsarine Catherine II, la Grande Catherine, que ce projet a vu le jour à l’emplacement d’une ancienne ville grecque de l’Antiquité. C’est Alexandre, le petit-fils de l’impératrice, qui finalisera le projet insensé de sa grand-mère. Une fois la cité construite, il nommera gouverneur d’Odessa un exilé français de la révolution, le duc de Richelieu. Pendant dix années, celui-ci fera d’Odessa une cité modèle, libre d’accès à tout un chacun, donc aux juifs qui représenteront, au XIXème siècle, un tiers de la population de la ville. Odessa devient la troisième ville de l’Empire russe.
Léon Pinsker, médecin de l’armée tsariste
Et si Israël était né à Odessa, en 1882, lorsque Léon Pinsker posa un point final à son manifeste titré « Autoémancipation » ? Pure question de forme, car nous savons que l’État juif1 est né à Bâle, lors du premier congrès de l’organisation mondiale sioniste en 1897, grâce aux efforts déployés par Theodor Herzl. Du 29 au 31 août 1897, les 400 délégués réunis en Suisse réalisent le rêve de Pinsker et des « amants de Sion ». À juste titre, nous pouvons donc partager les lieux de naissance et dire que si le sionisme est bien né à Odessa, l’État juif, lui, est né à Bâle.
Médecin de haut rang, Léon Pinsker est issu de la bourgeoisie juive d’Odessa. Fervent partisan des « lumières juives », que l’on nomme en hébreu la « Haskala », il se montre surtout préoccupé d’assimilation qu’il croit bénéfique à l’ensemble des Juifs. Il défend la langue russe contre le yiddish pour mieux s’intégrer mais, devant l’horreur des pogroms de 1881 et le silence de l’intelligentsia russe, il revient sur son choix et prône, avant Herzl, un retour à Sion. Son manifeste, publié en 1882, dresse un constat tragique de la condition juive à travers le monde et il exhorte le peuple juif à se réveiller politiquement. Comment ? En créant un foyer national juif. Pinsker écrit ainsi le premier manifeste sioniste, même si le mot sioniste ne sera élaboré qu’en 1890 par le Viennois Nathan Birenbaum.
Jabotinsky, l’enfant rebelle d’Odessa
En 1880, le 18 octobre, Odessa voit naître Vladimir Zeev Jabotinsky. Enfant, il reçoit un enseignement religieux orthodoxe mais il s’en éloigne très vite. Il rejoint le
mouvement sioniste peu après le pogrom de Kichinev (ou Chisinau, l’actuelle capitale de la Moldavie), en 1903, en tentant de mettre sur pieds de fragiles milices d’autodéfense. Cette même année il est élu au sixième congrès sioniste et croisera ainsi Theodor Herzl peu de temps avant sa mort prématurée.
Pendant la première guerre mondiale, Jabotinsky considère que les Juifs doivent aider les Britanniques à s’emparer de la Palestine, territoire ottoman allié à l’empire allemand. C’est alors qu’il conçoit l’idée d’une légion juive. En 1921, il est élu membre de la direction de l’organisation juive mondiale, organisation qu’il quittera deux ans plus tard à la suite d’une divergence avec Haïm Weizmann. En 1925, il fonde l’union mondiale des sionistes révisionnistes représentant une droite sioniste intransigeante à laquelle se rattachera le Betar.
La seconde guerre mondiale approchant, Jabotinsky devient le responsable officiel de l’Irgoun, une milice juive d’autodéfense rivale de la Haganah (future armée d’Israël). En 1940, Jabotinsky meurt à New-York et Menahem Begin prendra, pendant la guerre, sa succession à la tête de l’Irgoun. La naissance de l’État d’Israël proclamée, l’Irgoun se transforme en parti politique. Ce sera le Herout, ancêtre du Likoud.
Le Rabbi de Loubavitch, un voisin d’Odessa
Septième héritier de la dynastie du « Hassidisme Habad-Loubavitch », le Rabbi Menahem Mendel Schneerson est né le 18 avril 1902 à Nikolaïev, une ville qui occupe dans l’imaginaire juif européen une place bien moins importante que celle de la mythique Odessa, voisine d’à peine 200 kilomètres.
Il épouse Haya Moucka en 1928, à Varsovie. Le jeune couple part alors à Berlin qu’il est contraint de quitter en 1933 face à la menace nazie. Ils partent alors pour Paris où le Rabbi fréquente assidûment la Sorbonne et donne un cours quotidien à l’Oratoire de la rue des Rosiers. En 1941, le couple part en zone « libre » et s’embarque, le 23 juin de cette même année pour New-York. C’est là, à Crown Heights, à Brooklyn, qu’il devient le 17 janvier 1951, le septième Rabbi de Loubavitch. Il disparaît le 12 juin 1994.
Au-delà d’Odessa, l’Ukraine
En définitive, c’est l’Ukraine toute entière qui joue un rôle fondamental dans l’histoire juive. Du 17ème siècle au début du 20ème, elle représente la plus grande communauté juive du monde. Histoire religieuse ou histoire laïque, tout se passe sur le territoire ukrainien actuel. À la fin du 18ème siècle, avec le partage de la « grande » Pologne, toute l’Ukraine passe sous contrôle russe, sauf la Galicie qui est rattachée à l’empire Austro-Hongrois. Les Juifs vont beaucoup y perdre car, en Pologne, ils bénéficiaient d’un régime de tolérance qui assurait la survie du peuple juif et du judaïsme. Au sein de l’empire russe, les Juifs ne sont plus les bienvenus. Une attitude qui se prolongera en Union soviétique et que l’on nommera pudiquement « lutte contre le cosmopolitisme » pour éviter de parler de « chasse aux Juifs ».
1 du moins l’État juif sous sa forme réalisable et non plus théorique. Moses Hess notamment a théorisé la création d’un État juif socialiste en 1862 dans son livre « Rome et Jérusalem – La Dernière Question Nationale ».