L’affaire de Suez et la naissance de la (discrète) alliance franco-israélienne

L’affaire de Suez et la naissance de la (discrète) alliance franco-israélienne

« L’AFFAIRE » de Suez fait naître une discrète alliance franco-israélienne. Elle durera 11 ans. Par Alain Herbeth /

Une dun journal Al-Ahram du 27 juillet 1956 après l'annonce par Nasser de la nationalisation du canal de Suez

Une du journal Al-Ahram du 27 juillet 1956 après l’annonce par Nasser de la nationalisation du canal de Suez

Le 26 juillet 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser apprend au monde qu’il a décidé de nationaliser le canal de Suez. Il en fait l’annonce à Alexandrie devant une foule immense : « La Société du canal de Suez a cessé d’exister, dit-il dans un grand éclat de rire, nous l’avons arraché aux profiteurs capitalistes… désormais, le canal est égyptien. » En clair, le trafic sera entièrement contrôlé par l’Égypte. Les téléscripteurs des agences de presse du monde entier diffusent la nouvelle en « urgence absolue ».
Pourquoi une telle décision qui n’est rien d’autre que la spoliation d’une société franco-anglaise ? Parce que Nasser vient d’apprendre que les États-Unis, soucieux de son rapprochement avec l’Union soviétique, refusent de financer la construction du barrage d’Assouan. Alors pourquoi ne pas se servir ailleurs pour financer des travaux qui s’annoncent pharaoniques.

   Guy Mollet à Shimon Pérès : « Je ne serai jamais un nouveau Bevin », faisant allusion à la trahison du travailliste anglais vis à vis d’Israël

Timbre égyptien sur la nationalisation du canal de Suez

Timbre égyptien sur la nationalisation du canal de Suez (1956)

Pour la France, l’affaire est entendue. Nasser est l’ennemi principal, celui qui inspire, arme et finance la rébellion algérienne. Contre un nouvel Hitler, comme le qualifie Guy Mollet, le nouveau président du conseil, il ne peut y avoir un nouveau Munich, et puisque la confrontation avec l’Égypte semble devenir inévitable, Mollet se tourne vers Israël, bien décidé à aider ce pays contre tout danger de destruction1. Il sait qu’Israël et la France sont confrontés au même expansionnisme panarabe et que c’est ensemble qu’il faudra trouver la solution. Un avis partagé par Jacques Soustelle, de retour d’Alger. Une détestation de Nasser vécue également les Britanniques qui acceptent mal la perte définitive de leur influence en Égypte.

Depuis quelques mois, les rapports entre la France et le Royaume-Uni se sont améliorés grâce, essentiellement, à Guy Mollet et à Anthony Eden, le socialiste et le conservateur. Si la situation s’est améliorée, celle-ci ne va pas jusqu’à partager avec nos amis britanniques ce qui se dit dans les salons de propriétés discrètes où les représentants de l’État d’Israël sont reçus.

Une amitié sans traité ni pacte d’alliance

Shimon Pérès est un habitué des allers retours Paris-Tel Aviv, et il reconnaît dans son livre, David et sa fronde, paru en 1971, que « ce fut une amitié sans précédent dans les annales des relations internationales. Étant totalement dépourvue de caractère officiel, elle ne fit l’objet d’aucun traité, d’aucune alliance. » Cette alliance a duré onze ans, jusqu’à la guerre des six jours et l’embargo imposé par Le président De Gaulle.

« Combien vous faut-il de temps pour traverser le Sinaï et atteindre le canal de Suez ? »

L’entente anglo-française, à propos de Suez, va se nouer autour d’un projet d’intervention militaire initialement prévue pour le 15 septembre. Quand les deux alliés mettent au point ce plan, la France n’oublie pas de tenir étroitement informés ses interlocuteurs israéliens habituels. Mais la France, le Royaume-Uni et, plus discrètement, Israël ne sont pas seuls au monde. Les États-Unis et l’Union soviétique ne veulent en aucun cas d’un tel conflit. Face à cette hostilité des deux « grands », Anglais et Français réagissent différemment. Les premiers hésitent et semblent fléchir alors que les seconds sont plus déterminés que jamais.

La main des Britanniques va trembler au moment décisif

portraits de David Ben Gourion et Guy Mollet

David Ben Gourion (gauche) et Guy Mollet (droite)

Dans le secret du bureau de Bourgès-Maunoury, avec l’accord de Mollet, une question est posée à Shimon Pérès : « Combien vous faut-il de temps pour traverser le Sinaï et atteindre le canal de Suez ? » Cinq ou six jours, répond Peres sans la moindre hésitation. Chacun sait que la situation vient de basculer. Pour la première fois, une réunion avec les trois parties concernées s’impose. Elle va se tenir à la fin octobre, à Sèvres. Mais, avant l’arrivée des Anglais, Mollet et Ben Gourion se concertent en tête à tête.

A l’issue des discussions trilatérales, un protocole est rédigé qui précise qu’Israël, le 29 octobre, franchira le Sinaï et ira au plus près du canal. La France et le Royaume-Uni lanceront alors un ultimatum pour que cessent les combats. Des exigences qu’Israël acceptera et que l’Égypte refusera. Dans cette hypothèse, les anglo-français lanceront l’offensive le 31 octobre.

La main des Britanniques va trembler au moment décisif. L’opération est d’abord reculée au 3 novembre, puis lancée le 5 novembre avec succès. Mais les Britanniques cessent immédiatement leur offensive et se rangent aux raisons de la diplomatie américaine.

La confusion qui suit cette « campagne de Suez » avortée est totale. Une crise financière et diplomatique majeure va suivre mais qui épargnera davantage Israël. Certes, les Israéliens passeront pour des agresseurs aux yeux de ceux qui, de toutes façons, leur reprocheront toujours de se défendre, mais ils auront montré l’efficacité de leur armée et gagneront la paix pour onze ans.

A la veille de la guerre des six jours, Jacques Soustelle est à Jérusalem. Il vient fêter avec ses amis du Herout (ancêtre du Likoud) le 19ème anniversaire de la naissance de l’État d’Israël. Il prévient tous ses interlocuteurs des conséquences dramatiques que va provoquer la nouvelle politique arabe du général De Gaulle. Discrètement, il rencontre son ami le général Koenig, seul invité officiel français, et qui lui a succédé, en 1961, avant le chemin de l’exil, à la tête de l’Association France-Israël. Quelques semaines plus tard l’offensive éclair de Tsahal écarte le danger immédiat.

Note

1  Dès son élection, Mollet souffle à Shimon Peres : « Je ne serai jamais un nouveau Bevin », faisant allusion à la trahison du travailliste anglais vis à vis d’Israël.

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