Biden, Israël et l’Iran
Concordance d’événements majeurs où simples concomitances ?
Ces dernières années le Proche Orient quittait enfin les unes systématiques de médias à la recherche de scoop racoleurs. On a appelé ces années « années Trump » avec un zeste de mépris, favorisant les refus, critiques, rejets de toute évolution sur le terrain ; oubliant Jared Kushner, le véritable artisan des nouveaux contours qui se dessinent : les accords d’Abraham, signés en 2020.
Etat des lieux
Sur le plan diplomatique, ces accords dessinent un nouvel équilibre de force possible au Proche-Orient. Ces accords dits « d’alliance sécuritaire » – sur le mode OTAN – entre Israël,
le Bahreïn et les Émirats Arabes Unis (EAU), permettrait à ces pays de faire face aux menaces iraniennes. L’Arabie Saoudite est dans l’expectative.
Face à cette alliance, il y a la formation d’un groupe de force aux intérêts contradictoires et totalitaires, revendiquant la toute puissance régionale : la Turquie « sunnito-frériste », et le bloc Syrie-Irak-Iran, à majorité chiite. Majorité chiite confortée par des minorités agissantes : le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, les Chiites Houthis au Yémen, couteau pointé au dos de l’Arabie Saoudite.
Kissinger ne s’y est pas trompé, qui, lors d’un séminaire sur la politique étrangère, a qualifié la politique du gouvernement Trump « d’extraordinaire ». « Je pense que c’était un concept brillant, nous n’en étions qu’au début ».
Selon lui cette politique a réalisé deux innovations :
- L’une : séparer le problème palestinien de tous les autres problèmes afin qu’il ne représente pas un veto sur tout le reste.
- Deuxièmement : aligner les États sunnites en combinaison réelle ou potentielle contre les États chiites, c’est-à-dire l’Iran, qui développe une capacité à les menacer.
Le contexte
Aux états Unis la gouvernance est passée aux démocrates, mettant un frein à la dynamique engagée. Le gouvernement Biden n’est pas encore clairement perçu dans ses choix définitifs, mais de grandes lignes apparaissent.
- La première, et la plus dangereuse pour les accords d’Abraham, est l’attitude de blocage absolu, au nom des Droits de l’homme, face au prince Mohamed ben Salman (MBS),et la remise en selle du Roi Salman, par un dialogue directe. Du crime de Khashoggi à la guerre du Yemen, le contentieux est lourd. Le président Biden passe directement par le Roi Salman qui est infiniment moins concerné par la réforme révolutionnaire et la gouvernance du pays, abandonnés à MBS, ce qui ne facilitera pas les échanges. En conséquence, l’Arabie Saoudite ne prend toujours pas position face aux accords d’Abraham, et, au Yemen, la position américaine a mis de facto l’Iran en passe de prendre le pouvoir avec les Houthis, mettant en danger le sud de l’Arabie Saoudite.
- Une conséquence immédiate de cet interventionnisme apparaît sur le terrain : l’exigence nouvelle par l’Arabie, de la prise en compte de la question palestinienne avant toute adhésion aux accords d’Abraham.
- L’autre problème indéfini pour le moment, est la décision prise par Biden de rejoindre ou pas le PAGC ou Plan d’Action Global Commun (JCPOA en anglais), signé à Vienne en 2015 et réfuté par Donald Trump. Jeu de renvoi de balle entre l’Amérique qui rejoindra l’accord « si » l’Iran respecte le contrat, et l’Iran qui acceptera les conditions « si » l’Amérique annule les mesures punitives.
Les adjoints de Biden donnent de leurs côtés des signes d’idéologie dangereusement pragmatique, favorable à des relations pacifiées avec l’Iran. Ned Price conseille de retirer les Gardiens de la Révolution de la liste des organisations terroristes, et l’ouverture à l’Iran pour favoriser les échanges économiques. Robert Malley est, lui, convaincu de longue date de l’indispensable présence américaine en Iran.
Les réactions en Israël démontrent l’inquiétude des milieux « autorisés », comme le démontre la lettre à Biden de 1800 officiers de Tsahal et de membres retraités du Mossad, l’exhortant à ne pas réintégrer les États-Unis dans l’accord nucléaire.
En conclusion
On peut tenter une première analyse de ces constats. L’Amérique semble à pas feutrés vouloir imposer -à son avantage- une politique de priorités nouvelles au Proche Orient :
- Tirer profit de la période d’incertitude électorale fragilisant Israël, pour imposer son point de vue sur le conflit avec l’Autorité palestinienne (AP).
- Une remise en prise directe du problème israélo-palestinien à la une, par des conseils directs donnés à l’AP pour organiser des élections.
- Par l’élimination – sous le prétexte habile de respect des Droits de l’Homme- du prince MBS, déstabiliser l’Arabie Saoudite ; déstabilisation aggravée par les attaques renouvelées des Houthis au Sud du pays, dans une totale impunité, l’Arabie ayant reçu l’interdiction claire d’intervenir dans cette « guerre civile ».
- Un jeu de rôle habile avec l’Iran, sans violence ni sanctions permettant de reprendre un dialogue, voire plus, sans perdre la face.
Son choix prioritaire sera-t-il accordé à un Iran suffisamment fort pour garder une hégémonie jugée stabilisatrice dans cette région ? Sans trop s’avancer, ne pourrait-on dire aujourd’hui que l’Amérique utilise tout son pouvoir de nuisance pour réduire à néant la force dynamique des accords d’Abraham, geler l’action de l’Arabie saoudite, fragiliser Israël sans en perdre la collaboration, remettre à la une les Palestiniens, et « voire plus » du coté iranien ? Inquiétant parcours à suivre de près. Période des plus inquiétantes pour Israël ! Le résultat des élections y fera sens de façon décisive pour les intérêts immédiats du pays.