Interview // Patrick Amar, quand les hauts fonctionnaires français s’échangent en Israël

Interview // Patrick Amar, quand les hauts fonctionnaires français s’échangent en Israël

Présentation
Patrick Amar, ingénieur aéronautique diplômé de l’école nationale de l’aviation civile (ENAC) , fonctionnaire à la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), conseiller spécial pour la sûreté, conseiller du ministre des transports Gayssot (gouvernement Jospin), est aujourd’hui Conseiller spécial du Directeur Général de l’Aviation civile : oui, mais en Israël.

The Civil Aviation Authority in Israel logoLogo DGACEn 2018, vous êtes devenus Conseiller spécial du Directeur Général de l’Aviation civile en Israël (CAAI)1, l’équivalent de la DGAC française2. Est-ce que les échanges de fonctionnaires entre la France et Israël sont fréquents ? Dans quels buts ?
C’est la première fois en ce qui concerne Israël. Il y a eu des échanges entre la France et d’autres pays, mais ce n’est pas fréquent. Ces échanges sont un besoin pour les deux pays.

Quel est le fonctionnaire israélien venu en France, et à quel poste ?
Il est prévu qu’un fonctionnaire israélien vienne en France, mais pour le moment, les conditions ne sont pas réunies. Il faut quelqu’un qui maîtrise le français, en plus d’être expert en aéronautique.

Avez-vous été pressenti pour ce poste en raison de votre expérience préalable en Israël et au sein d’El-Al3 ?
J’ai été nommé pour 2 ans, potentiellement renouvelable, pour 4 raisons : mon expertise dans le domaine de l’aviation, mon expérience dans le domaine de la sûreté, ma maîtrise de la langue hébreu, ainsi que ma connaissance de la culture israélienne.

Patrick Amar, fonctionnaire à la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), Conseiller spécial du Directeur Général de l’Aviation civile Israël (CAAI) dans le cadre d'un échange de fonctionnaires entre la France et Israël (2018-2020)Que faites-vous exactement à ce poste ?
Je suis en charge de la coopération institutionnelle entre la France et Israël dans le domaine de l’aviation, de la sûreté (prévention des risques et attentats), et des transports en général, y compris terrestres (j’ai une expérience de 3 ans au sein du cabinet du ministre des Transports). J’identifie les besoins des deux parties, et je vois ce que nous pouvons nous apporter mutuellement, je mets en relation les homologues au sein des deux ministères et administrations, français et israélien. Il y a un grand nombre de coopérations potentielles : cyber-sécurité, drones, aéroports, sûreté du transport aérien etc.

On aurait tendance à penser que ce sont les Français qui ont plus intérêt à bénéficier du savoir-faire israélien ?
Si les Français sont bien sûr intéressés par le savoir-faire israélien, les Israéliens ont également beaucoup à gagner. Certains sujets profitent plus à l’un ou à l’autre, mais sur l’ensemble des projets, c’est équilibré. C’est une relation gagnant-gagnant. Par exemple, les Israéliens n’ont pas de réglementation dans le domaine de la cybersécurité, contrairement à la France et à l’Europe. Chaque entreprise israélienne dans ce domaine identifie ses propres priorités. Israël se montre donc intéressée pour structurer sa réglementation sur le modèle français et fédérer les opérateurs de cybersécurité pour identifier la stratégie à prendre pour l’avenir. J’organise ainsi des rencontre entre experts de la cybersécurité des deux pays. Autre exemple : Israël travaille sur un projet de nouvel aéroport civil pour désengorger l’aéroport Ben-Gourion, qui arrivera en effet à saturation d’ici 5 à 10 ans. Deux sites sont pressentis : un au nord, un autre dans le Néguev. Or la France a un grand savoir-faire en matière d’élaboration aéroportuaire, qui intéresse les Israéliens.

Vous travaillez également sur les transport terrestres. Des exemples ?
Il y a la « smart mobility », c’est à dire la mobilité urbaine intelligente, concernant les transports en commun notamment, l’insertion des technologies pour améliorer la circulation urbaine. J’ai fait une note d’information à la sécurité routière et au ministère des Transport français sur MobilEye. En effet, les assureurs en Israël ont fait une analyse comparative de leur coût des accidents sur plusieurs années entre véhicules équipés et non équipés de ce système anti-collision, et ont identifié une forte économie sur les véhicules équipés (moins de dommages corporels). Aussi, le ministère des transports israélien subventionne-t-il l’équipement mobileEye à hauteur de 75 %.

Si les Français sont bien sûr intéressés par le savoir-faire israélien, les Israéliens ont également beaucoup à gagner. Certains sujets profitent plus à l’un ou à l’autre, mais sur l’ensemble des projets, c’est équilibré. C’est une relation gagnant-gagnant.

Touchez-vous à des sujets sensibles ? Lesquels ?
Oui. La sûreté des transport aériens notamment : risque d’attentats dans l’aviation civile. Je travaille avec les services spécialisés en Israël.

Lors de vos postes à la DGAC, vous avez notamment travaillé sur la réglementation des drones, en particulier pour ce qui touche à une utilisation offensive de ces engins en vente libre. Pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce un sujet sur lequel vous intervenez en Israël ?
La France a en 2012 élaboré une première réglementation pour encadrer l’utilisation des drones, mise à jour en 2016. Elle visait à mieux encadrer l’activité des drones de loisir et des drones professionnels. Il y a eu des échanges en 2018 entre experts israéliens et français, et la CAAI est en train de finaliser une réglementation pour les drones de loisir, notamment pour éviter toute interaction avec l’espace aérien et le survol de zone peuplée. Je joue un rôle de conseil.

Comment faire respecter la réglementation sur les drones ?
Il y a deux types de pilotage des drones : à vue, le pilote restant à vue de son aéronef, et hors-vue, le drone étant programmé. Donc deux systèmes réglementaires. Pour le pilotage hors-vue, il faut une autorisation particulière et le drone a une identification, que les gendarmes ou les autorités compétentes peuvent repérer. Pour les drones non identifiés (en général ceux à vue), ils peuvent être repérés avec des antennes émettrices qui permettent de retrouver le pilote. Une nouvelle réglementation va entrer en vigueur pour les drones à vue d’une certaine masse, et ils seront identifiés (donc repérables à distance).

Vous avez également travaillé en France sur les plate-formes de co-avionnage, sur le modèle du covoiturage. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ces plates-formes existent, Wingly par exemple. Il y a un partenariat avec la Fédération Française d’Aéronautique (FFA) qui encadre tous les aéroclubs. C’est un dispositif encadré, et il n’y a pas eu d’incidents à ce jour.

Que retirez-vous de votre expérience, après plus d’un an en Israël à ce poste ?
Beaucoup d’enrichissement. Mon insertion dans la société israélienne est encore plus profonde. Au niveau professionnel, je travaille totalement en hébreu. Au niveau personnel, ma famille est également bien intégrée, avec un enfant étudiant à l’Université Hébraïque de Jérusalem, une autre en service civil, et le petit dernier au gan, dans le système éducatif israélien4. Je me félicite du choix des deux pays d’avoir lancé une coopération renforcée de ce genre. Si les échanges existaient auparavant, la France, qui a pris l’initiative de cet échange de fonctionnaire, montre sa volonté d’approfondir encore les échanges de savoir-faire entre les deux pays.

 

1 Civil Aviation Authority of Israel
2 Ces deux administrations sont dépendantes du ministère des Transports de leur pays respectif
3 Directeur régional pour Air France-KLM en Israël de 2005 à 2009, puis vice-président d’El-Al de 2009 à 2011. Patrick Amar a été notamment responsable du rapprochement commercial Air France-KLM
4 Deux autres enfants sont restés en France, car au milieu de leurs études

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