Goldnadel: «L’inexplicable passivité française face au régime des ayatollahs»
FIGAROVOX/TRIBUNE – Suite à la mort du général Soleimani, notre chroniqueur Gilles-William Goldnadel déplore une étrange complaisance française face à la République islamique d’Iran.
Par Gilles William Goldnadel
Publié le 6 janvier 2020
L’exercice à venir est ingrat, en tous les cas il est rare au sein du monde médiatique et intellectuel français contemporain: ne pas ménager la République Islamique dans son conflit contre l’Amérique et comprendre la décision du président de celle-ci d’avoir éliminé le serviteur le plus zélé de celle-là.
La République islamique d’Iran n’a pas très mauvaise presse française au regard de ce qu’elle est et de ce qu’elle fait.
Pour des raisons tenant apparemment aux mystères de la raison et que j’aurais tenté d’élucider à plusieurs reprises dans un environnement assez hostile, la République islamique d’Iran n’a pas très mauvaise presse française au regard de ce qu’elle est et de ce qu’elle fait.
Voilà en effet un régime qui maltraite sa population depuis sa fondation. Qui noie toute forme de contestation dans le sang. Qui fait pendre les homosexuels. Qui enferme les femmes dans les voiles et fait fouetter et enfermer les avocates qui défendent les femmes non voilées.
Voilà un régime qui, à l’extérieur, foule aux pieds les lois internationales sur les engins balistiques. Inscrit sur ses missiles: «Israël sera détruit». Inscrit sa politique dans un impérialisme aujourd’hui rejeté de Beyrouth à Bagdad. Pratique le terrorisme international y compris en France lorsqu’il tente de faire poser des engins explosifs l’an dernier lors du meeting organisé par la Résistance Iranienne à Villepinte. Fait poser des bombes par son Hezbollah interposé au Centre Communautaire juif de Buenos Aires (75 morts). Prend en otages des scientifiques françaises sans que le gouvernement français ni la presse ne s’en émeuvent excessivement.
Il faut d’abord rappeler l’habituelle tolérance de l’idéologie médiatique et politique pour l’intolérance islamique radicale.
Pour expliquer l’inexplicable passivité française, y compris féministe et antiraciste, à l’égard d’un régime aussi dangereux et sanguinaire, le recours à l’impensé idéologique est nécessaire. D’abord, l’habituelle tolérance de l’idéologie médiatique et politique pour l’intolérance islamique radicale qui prend sa source dans un anti-occidentalisme occidental congénital. Mais aussi, la crainte obséquieuse du terrorisme et l’espoir secret que caresser la bête inhumaine dans le sens de son poil la réduira à quia. Enfin, plus profondément encore enfoui, un inconscient antisioniste, puissant dans certains courants médiatiques, qui ne peut s’empêcher de considérer que quelqu’un qui veut détruire l’État détesté ne saurait être tout à fait détestable.
C’est dans ce cadre incroyablement indulgent que la personnalité très particulière de Qassem Soleimani, éliminé sur décision de Donald Trump jeudi dernier, aura été relativement épargnée dans la presse européenne. À l’exception notable du Bild allemand qui, par la plume de son rédacteur en chef écrit: «Le Président Trump a libéré du monde un monstre dont le but dans la vie était de vouloir un nuage atomique au-dessus de Tel-Aviv. Trump a agi en état de légitime défense pour les États-Unis.»
En revanche, même le personnel politique démocrate américain, farouchement hostile au président honni, a reconnu à l’unisson
que le chef des tristement célèbres Gardiens de la Révolution, garde prétorienne du régime, était l’organisateur de nombreuses opérations terroristes hors d’Iran et n’avait rien à envier à Ben Laden ou à Al-Baghdadi en ce qui concerne le nombre de leurs victimes.
C’est dans ce contexte moral, politique et idéologique que la manière maussade dont le monde politique et médiatique européen a appréhendé la décision américaine, et qui ressemble au jugement partisan des démocrates américains, doit être comprise.
Bien entendu, on excusera ce truisme, si Donald Trump était resté inactif, le risque militaire eût été à court terme moins grand. Jusqu’à présent, le président américain était moqué pour sa passivité matamoresque quand il n’était pas morigéné pour son isolationnisme égoïste. L’Iran, disaient les prétendus spécialistes, se jouait de lui et de son attentisme bruyant. Ses alliés dans le Golfe étaient attaqués sans qu’il ne réagisse et l’on comprenait qu’il valait mieux être l’affidé du placide Poutine.
Voilà qu’à présent, et alors même qu’il venait d’être défié à plusieurs reprises par le régime des ayatollahs et que M. Soleimani se croyait intouchable jusqu’à railler son impuissance, il est montré du doigt comme un aventurier aventureux.
Donald Trump, malgré tous ses défauts, en ce compris cette imprévisibilité qui peut être parfois qualité, a fait.
Ainsi fonctionne à l’égard du 45e président américain l’alternative diabolique de la perversion intellectuelle idéologique. Qu’on me pardonne cette trivialité: si Trump fait, c’est un boutefeu, s’il ne fait, c’est une trompette.
Et Donald Trump, malgré tous ses défauts, en ce compris cette imprévisibilité qui peut être parfois qualité, a fait. Ce que n’a pas fait Jimmy Carter quand, en violation des règles les plus sacrées, Khomeini prit en otages des centaines de ses compatriotes à l’ambassade de Téhéran. Ce que n’a pas fait l’icône médiatique Obama quand, après qu’Assad ait usé du gaz à l’encontre de son propre peuple, il ait effacé du pied les lignes rouges qu’il avait tracées de la main. Ce qu’il ne fit pas non plus, lorsque flanquée d’Hillary Clinton, ils laissèrent faire le sac du consulat de Benghazi avec son ambassadeur assassiné.
Raison pourquoi, l’attaque contre l’ambassade des États-Unis à Bagdad constituait sans doute, dans l’esprit de beaucoup d’Américains, à commencer par le premier, la dernière des provocations. Mais Trump n’est ni Carter, ni Clinton, ni Obama, raison pourquoi il est détesté par ce camp dont on sait à quel point il se trompe bien.