Interview // Meir Masri. 4ème élection en 2 ans : le système électoral israélien est-il dans l’impasse ?

Interview // Meir Masri. 4ème élection en 2 ans : le système électoral israélien est-il dans l’impasse ?

Pour la quatrième fois en deux ans, les électeurs israéliens vont devoir élire un nouveau Parlement le 23 mars 2021. La dernière législature a été dissoute car aucun accord budgétaire n’a été trouvé avant la fin de l’année 2020. Les précédents scrutins pour élire la Knesset se sont déroulés en mars 2020, septembre 2019 et avril 2019. Le système politique israélien est-il dans l’impasse ? Les Israéliens sont-ils démobilisés ?

Portrait du géopolitologue israelien Meir Masri

Meïr Masri

Réponses contre les idées reçues de Meir Masri, docteur en géopolitique, maître de conférences à l’Université hébraïque de Jérusalem et membre du Comité directeur du Parti travailliste israélien.

 

1- Pourquoi ce système électoral qui fonctionnait jusque là est-il aujourd’hui dans une impasse ? Cette 4ème élection en deux ans ne signifie-t-elle pas un épuisement de ce système politique à la proportionnelle intégrale ?

Je ne pense pas que le système électoral soit dans une impasse. Je pense simplement que plusieurs facteurs ont rendu difficile la formation d’une majorité stable. Il s’agit d’abord du conflit opposant la droite ultra-laïque (Israël Beitenou) aux partis ultra-orthodoxes – car rappelons que c’est de là que tout a commencé. Ensuite, la mise en examen du Premier ministre a poussé nombre de partis à refuser de rejoindre sa coalition. Enfin, il y a l’augmentation du nombre de sièges de la Liste commune – liste antisioniste qui refuse de participer à une quelconque majorité -, qui est une conséquence de l’effondrement de la gauche et de la fuite de beaucoup de voix d’extrême-gauche vers cette formation plus radicale.

Composition de la 23ème Knesset (mars 2020 - mars 2021)

La crise parlementaire israélienne est de mon point de vue le résultat de la combinaison de ces trois facteurs conjoncturels. Il ne s’agit donc pas d’une crise de nature structurelle qui justifierait de remettre en cause le système en place.

2- Israël n’aurait-il pas besoin d’une Constitution par exemple ?

Israël dispose d’une Constitution : une Constitution non-écrite, c’est-à-dire qui ne figure pas dans un seul et même texte. Une Constitution ce n’est pas nécessairement un texte écrit, mais c’est surtout et avant tout un ordre juridique distinguant des lois ordinaires les lois supra-législatives – c’est-à-dire les sources ayant une autorité supérieure à la loi, que l’on appelle à juste titre : les Lois fondamentales. Pour qu’une loi ordinaire puisse être validée, elle doit être constitutionnelle, ce qui signifie qu’elle doit être conforme à l’ensemble des Lois fondamentales, ainsi qu’à la Déclaration d’Indépendance de l’État qui a elle aussi une valeur constitutionnelle. Dans le système israélien, la Cour suprême est également une cour constitutionnelle.

Israël dispose donc d’une Constitution non-écrite, d’un ordre constitutionnel qui régule et encadre l’organisation des pouvoirs publics et qui assure la primauté effective des Lois fondamentales sur les lois ordinaires, comme dans toute démocratie.

3- Peut-on de nouveau se retrouver avec un gouvernement incapable de gouverner ? Une 5ème élection ?

Knesset

Honnêtement, je ne le pense pas.

Bulletins de vote lors d'élections législatives israéliennes

Bulletins de vote lors d’élections législatives israéliennes

Tout d’abord, le précédent gouvernement a, de mon point de vue, plutôt bien fonctionné et il a effectué nombre de réalisations : un rapprochement inédit avec les États-Unis qui a porté ses fruits dans plusieurs domaines, des accords de paix avec quatre États arabes, un endiguement inespéré de l’expansionnisme iranien, notamment en Syrie où Israël est parvenu à empêcher le régime de Téhéran de s’y implanter militairement, et puis enfin une gestion plutôt réussie de la crise du coronavirus comparé à la majorité des pays développés. Certes, ce fut un gouvernement de courte durée, mais ce n’est pas la première fois qu’une Knesset est dissoute en l’espace d’un an. Ce fut par exemple le cas en l’an 2000 pour le gouvernement d’Ehud Barak. Certaines démocraties parlementaires en Europe ont connu des situations bien pires, sans pour autant songer à changer de régime. Je pense à l’Italie, à l’Allemagne, à l’Espagne ou à la Grèce ; quatre États qui ont rencontré des crises parlementaires d’une plus grande ampleur durant les deux dernières décennies.

Puis l’échiquier politique israélien ayant été restructuré durant les derniers mois, notamment avec l’éclatement de la liste Bleu-Blanc et de la Liste commune, avec la création de nouveaux partis aussi bien à droite qu’à gauche, et avec le départ d’hommes politiques de premier plan, il est peu probable que les résultats du prochain scrutin soient identiques aux précédents.

4- Faut-il réformer ce système électoral ? En parle-t-on en Israël ? Y a-t-il possibilité de le faire ?

Je ne pense pas que cela soit possible, compte tenu de le la complexité et de l’hétérogénéité du paysage politique et social dans notre pays, et je ne pense pas non plus que cela soit souhaitable. Le système politique israélien est stable. Et depuis sept décennies, le moins que l’on puisse dire est qu’il a fait ses preuves. Par ailleurs, il s’inscrit en grande partie dans la continuité de la vie institutionnelle du Yishouv (Autonomie juive en Palestine mandataire entre 1920 et 1948), tout comme ses principales formations politiques.

Des retouches et des ajustements peuvent être effectués de temps à autre si cela s’avère nécessaire, comme par exemple le fait d’avoir élevé le seuil d’éligibilité des listes électorale à deux sièges puis à quatre, ou comme le fait d’avoir modifié à plusieurs reprises les modalités de fusion et de scission des formations en cours de législature. Mais une remise en question radicale et brutale d’un édifice institutionnel aussi ancien et aussi ancré ne peut selon moi que porter atteinte à la représentativité parlementaire de multiples petits groupes et avoir des effets politiques et sociaux qu’il serait préférable d’éviter.

5- Les Israéliens sont-ils démobilisés ?

Honnêtement, je ne le pense pas. La société civile est largement mobilisée, les grands partis connaissent des transformations profondes tandis que de nouveaux voient le jour, sans parler de ces manifestations ininterrompues qui attisent les passions des uns et des autres. Par ailleurs, le taux de participation aux derniers scrutins a été relativement élevé, de même que le taux de participation aux primaires des partis qui en ont organisé, et ce en dépit des restrictions de mouvement relatives à la crise sanitaire.

 

 

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